Yvette by Guy de Maupassant

Yvette by Guy de Maupassant

Author:Guy de Maupassant
Format: epub, pdf


« Bougival, ce dimanche, neuf heures du soir.

« Je meurs pour ne point devenir une fille entretenue.

« Yvette. »

Puis en post-scriptum :

« Adieu, chère maman, pardon. »

Elle cacheta l’enveloppe, adressée à Mme la marquise Obardi.

Puis elle roula sa chaise longue auprès de la fenêtre, attira une petite table à portée de sa main et plaça dessus la grande bouteille de chloroforme à côté d’une poignée de ouate.

Un immense rosier couvert de fleurs qui, parti de la terrasse, montait jusqu’à sa fenêtre, exhalait dans la nuit un parfum doux et faible passant par souffles légers ; et elle demeura quelques instants à le respirer. La lune, à son premier quartier, flottait dans le ciel noir, un peu rongée à gauche, et voilée parfois par de petites brumes.

Yvette pensait : « Je vais mourir ! je vais mourir ! » Et son cœur gonflé de sanglots, crevant de peine, l’étouffait. Elle sentait en elle un besoin de demander grâce à quelqu’un, d’être sauvée, d’être aimée.

La voix de Servigny s’éleva. Il racontait une histoire graveleuse que des éclats de rire interrompaient à tout instant. La marquise elle-même avait des gaietés plus fortes que les autres. Elle répétait sans cesse :

– Il n’y a que lui pour dire de ces choses-là ! ah ! ah ! ah !

Yvette prit la bouteille, la déboucha et versa un peu de liquide sur le coton. Une odeur puissante, sucrée, étrange, se répandit ; et comme elle approchait de ses lèvres le morceau de ouate, elle avala brusquement cette saveur forte et irritante qui la fit tousser.

Alors, fermant la bouche, elle se mit à l’aspirer. Elle buvait à longs traits cette vapeur mortelle, fermant les yeux et s’efforçant d’éteindre en elle toute pensée pour ne plus réfléchir, pour ne plus savoir.

Il lui sembla d’abord que sa poitrine s’élargissait, s’agrandissait, et que son âme tout à l’heure pesante, alourdie de chagrin, devenait légère, légère comme si le poids qui l’accablait se fût soulevé, allégé, envolé.

Quelque chose de vif et d’agréable la pénétrait jusqu’au bout des membres, jusqu’au bout des pieds et des mains, entrait dans sa chair, une sorte d’ivresse vague, de fièvre douce.

Elle s’aperçut que le coton était sec, et elle s’étonna de n’être pas encore morte. Ses sens lui semblaient aiguisés, plus subtils, plus alertes.

Elle entendait jusqu’aux moindres paroles prononcées sur la terrasse. Le prince Kravalow racontait comment il avait tué en duel un général autrichien.

Puis, très loin, dans la campagne, elle écoutait les bruits dans la nuit, les aboiements interrompus d’un chien, le cri court des crapauds, le frémissement imperceptible des feuilles.

Elle reprit la bouteille, et imprégna de nouveau le petit morceau de ouate, puis elle se remit à respirer. Pendant quelques instants, elle ne ressentit plus rien ; puis ce lent et charmant bien-être qui l’avait envahie déjà, la ressaisit.

Deux fois elle versa du chloroforme dans le coton, avide maintenant de cette sensation physique et de cette sensation morale, de cette torpeur rêvante où s’égarait son âme.

Il lui semblait qu’elle n’avait plus d’os, plus de chair, plus de jambes, plus de bras.



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